Raoul Housiau est né à Courcelles le 14 décembre 1894. Ses études le mènent successivement de l’école primaire de Roux, à l’Athénée de Charleroi et à l’internat de Dinant. En 1912, il commence à l’université de Gand où ses études sont interrompues par la Première Guerre mondiale. Le 4 août 1914, alors qu’il n’a pas encore 20 ans, il s’engage volontaire pour la guerre et demande à rejoindre le front le plus tôt possible.
Dès la mobilisation, Raoul Housiau est affecté au 10e régiment de ligne. Le régiment participe à l’organisation et à la défense de la Position Fortifiée de Namur (PFN). Après la prise de la ville, le régiment se relève dans la région entre la Sambre et la Meuse et atteint la France et se rend au Havre avec beaucoup de difficulté. Les hommes s’embarquent sur un vieux navire français « Le Mexique » et partent pour Zeebrugge le 3 septembre pour rejoindre l’armée qui défend Anvers. L’unité prend part à la percée vers Wavre-Ste-Cathérine et aux glorieuses batailles de St-Gilles-Lebbeke, puis à la retraite historique sur l’Yser.
Sur le front de l’Yser, Raoul Housiau est blessé pour la première fois d’une balle dans l’épaule à Oud-Stuyvekenskerke. En 1915, il est cité à l’ordre du jour de l’armée pour sa démonstration de courage face à l’ennemi. Après les inondations ordonnées par l’armée belge, Raoul Housiau a passé un certain temps sur la partie du site connue sous le nom de Jalon 16. Ce tronçon de tranchée le long de l’Yser deviendra plus tard la célèbre fosse de la mort.
Blessé une seconde fois, cette fois gravement, il doit être transporté en Angleterre. Avant même d’être complètement remis de ses blessures, il demanda à rejoindre le front et ses camarades le plus rapidement possible. En 1917, il est nommé sous-lieutenant dans le 10e régiment de ligne.
Après la guerre, il entre à l’École royale militaire pour étudier dans le département du génie. Il a ensuite effectué une année à l’Université de Liège et a obtenu un diplôme en Génie Electrique.
En 1923, il rejoint le Génie.
En 1927, il quitte le service actif avec le grade de capitaine et devient secrétaire général des centrales du Hainaut. Cette entreprise possédait des bâtiments techniques, des transformateurs, des ateliers, une chaudronnerie, une centrale frigorifique ainsi que le quai qui permettait d’acheminer le charbon vers les sites industriels par les voies navigables.
Néanmoins, Raoul Housiau poursuit sa carrière militaire dans le corps des officiers de réserve et est nommé major de réserve en 1937.
En 1939, le major Housiau est rappelé aux armes. Il organise et commande le 5e bataillon TTr (D.R.I.) à l’école de transmission de Vilvorde. En avril 1940, lors de la mobilisation générale, il est transféré au 40e bataillon TTr pour en devenir le commandant pour toute la durée de la guerre.
Photos de la mobilisation de 1940 : le major Housiau, la caserne de transmission de Vilvorde et les troupes partant au front.
Nous avons retrouvé une écriture de la main d’un de ses subordonnés, à savoir le caporal Levacq Robert qui a écrit ce qui suit à la famille Housiau le 15 décembre 1990 :
« En tant que conscrit de la promotion de 1939, j’ai été mobilisé le 16 octobre 1939 et affecté aux troupes de transmission de la garnison de Vilvorde. Après 6 mois de formation, mon unité a été affectée à aller sur le terrain à l’exception de quelques caporaux, dont je faisais partie. Je suis resté à la caserne pour former la promotion de 1940 (…) Si ma mémoire ne me fait pas défaut, le major Housiau est arrivé à Vilvorde au début d’avril. Un événement qui n’est pas passé inaperçu car il a personnellement inspecté les chambres. Le même jour, nous avons reçu un sac en paille et une housse pour ranger l’oreiller et le matelas. Une nouvelle cuisine a été installée sur le côté de la zone de couchage de la caserne et elle était située en face de notre chambre au rez-de-chaussée. (…) Avec le major Housiau dans la caserne, les choses étaient différentes. Vers midi, des préparatifs inhabituels ont attiré notre attention : une petite table a été dressée avec une nappe blanche, des assiettes et des couverts. Quand le major est entré, tout le monde était au milieu de la file : le sergent-major de la cuisine, le chef cuisinier et toute la bande. Le major ne se contenta pas de sentir, il se laissa servir un repas complet. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Le major était furieux et n’avait pas mâché ses paroles : « Voudriez-vous manger cela vous-mêmes ! » et je sauterai le reste. Tout cela avec une voix qu’aucun mur ne pouvait arrêter. Résultat immédiat : le chef déplacé, le sergent-major 15 jours d’assignation en chambre puis une grande amélioration des habitudes. Le dimanche, des amuse-gueules étaient même préparés dans le réfectoire. (…) le 10 mai 1940 est arrivé. Nous avons été réveillés à 4 heures du matin. Nous avons dû évacuer les chambres immédiatement. Nous nous répartissons dans les champs des environs de Vilvorde. Les volontaires ont ensuite été invités à évacuer la caserne et à tout charger dans des camions et des wagons qui attendaient près de la gare. Je faisais alors partie d’une « équipe d’installation » qui parcourait le parcours avec le camion. L’itinéraire de nuit a été tracé de telle sorte que nous sommes arrivés à Ostende le matin. La plupart des troupes étaient déjà arrivées en train. Alors que nous passions devant les maisons, nous avons été attaqués par un avion. Nous avons cherché à nous protéger le long des façades. Le major Housiau accourut, les bras en l’air, cria : « Mais G.V.D., tire-lui dessus. » Nous n’avions qu’un fusil « modèle 1885 » et quelques cartouches. Les nouvelles recrues n’avaient même pas ça. Quelques jours plus tard, nous avons pris place dans des wagons qui nous ont conduits dans le sud de la France. Après douze longs jours, épuisés et affamés, nous arrivions à Castres dans l’Hérault. (…) Nous avons suivi les événements de la guerre avec beaucoup d’intérêt. Il y a eu quelques manifestations dans la rue. Nous voulions retourner en Belgique. Le commandant Housiau fait tout ce qu’il peut pour calmer le jeu. Entre autres, il y avait un employé qui se faisait passer pour un journaliste et craignait que toutes les places ne soient prises à son retour en Belgique. J’entends encore le major répondre qu’il avait des illusions sur le genre de vie que nous mènerions sous l’occupant. Néanmoins, il a été décidé de prendre les mesures nécessaires pour rapatrier le régiment. Un premier détachement part en avant-garde avec pour mission d’expliquer le chemin du retour et le passage des zones occupées. En ce qui nous concerne, le départ était prévu pour le 14 août. Vers 4 heures du matin, tout le monde était réuni. Les comptes avaient été clôturés, une partie de l’indemnité de démobilisation avait été versée (le reste, je n’ai jamais vu – voir annexe) et les véhicules des chemins de fer français avaient été réservés. Une fois la nourriture distribuée, nous avons été inspectés par le major. (…) nous avons pris place dans les wagons qui nous étaient mis à notre disposition à l’arrière du train. Nous y sommes restés jusqu’en Belgique. (…)
15 décembre 1990
Signé : Levacq Robert
À la fin du mois de mai 1940, le commandant Housiau reçu l’ordre de se rendre en France avec ses troupes. En août 1940, il fit tout ce qui était en son pouvoir pour obtenir l’autorisation de rentrer en Belgique avec ses troupes. Il faut souligner ici que le Major Housiau organisa discrètement le retour de son unité en Belgique par train. Ce n’était pas une tâche facile car il fallait traverser à la fois la frontière de Vichy et la frontière belge. Le résultat final a été que tous ses hommes ont pu rentrer chez eux sans être envoyés en Allemagne comme prisonniers de guerre.
Il rejoint ensuite la résistance (Armée secrète zone I C-20) et organise les voies d’évasion des prisonniers de guerre français qui parviennent à s’échapper d’Allemagne. Le 24 janvier 1942, il est arrêté et emprisonné en tant qu’otage à Louvain. Après sa libération, il décida de poursuivre activement ses activités dans la résistance. Il est dénoncé, arrêté à nouveau en 1943 et cette fois emprisonné à la caserne de Charleroi. Le 23 mai 1944, l’ingénieur Raoul Housiau est transféré en Allemagne en tant que prisonnier politique. Il faisait partie du convoi n° 54644 qui emmena les prisonniers de Bruxelles à Weimar-Buchenwald et de là à Northausen-Dora.
Dora était un camp qui dépendait initialement du camp de Buchenwald. Il a été fondé en 1943, mais est devenu plus tard si important qu’il a été considéré comme un camp à part entière, ce qu’il est devenu en octobre 1944. Initialement, le camp était une usine souterraine qui devait permettre aux nazis de protéger la fabrication de leurs armes secrètes. Plus précisément, l’organisation finale de Dora est décidée après la destruction par l’armée de l’air de la RAF de la base de Peenemünde, où les V1 ont été fabriqués.
Cette usine fabriquait les fameuses « armes secrètes » V1 et V2 qui auraient dû permettre à Hitler de gagner la guerre. Ce sont de petits avions chargés d’explosifs et donc les précurseurs des missiles d’aujourd’hui. Les nazis ont choisi la colline de Kohnstein, située entre les petites villes d’Ellrich et de Nordhausen, car les passages souterrains avaient déjà été creusés. Tout s’est fait dans le plus grand secret.
Les premiers déportés arrivent à DORA le 25 août 1943. L’usine avait la forme d’un grand tunnel qui serpentait à l’intérieur de la colline. Il n’y avait vraiment rien de poétique dans la vie là-bas, comme en témoigne la description suivante d’un survivant belge de cet enfer.
« Initialement, ce tunnel a été creusé, agrandi et meublé sans outils, mais seulement à mains nues. Les pierres et les machines ont été transportées dans les conditions les plus épouvantables. Le poids de l’équipement à transporter était tel que les ouvriers, qui avaient déjà perdu toute force ou énergie et ne ressemblaient plus qu’à des squelettes vivants, s’effondraient souvent sous leurs charges. La poussière imbibée d’ammoniac a brûlé dans les poumons. La nourriture était à peine suffisante pour rester en vie. Les déportés travaillaient 18 heures par jour (douze heures de travail et six heures de formalités et de contrôles). Les gens dormaient dans les tunnels sur place. Les 1024 prisonniers, complètement épuisés, ne purent trouver un peu de repos que dans l’une des cavités creusées sur une longueur de 120 mètres, dont quatre de haut. Les déportés ne voyaient la lumière du jour qu’une fois par semaine à l’occasion de l’appel du dimanche.
Toutes les cavités de couchage étaient constamment occupées : l’équipe de nuit chassait l’équipe de jour et vice versa. L’éclairage consistait en des lampes électriques très faibles, dont les ombres projetées étaient également de nature à provoquer des cauchemars. L’eau potable n’existait pas. Ils se sont jetés sur tous les endroits où l’on pouvait trouver de l’eau et où, par exemple, la condensation s’accumulait goutte à goutte. Parce qu’il était interdit de boire de l’eau non potable, ils buvaient de l’eau et de la boue chaque fois que les gardes SS nous tournaient le dos.
Dans le tunnel, le froid et l’humidité étaient particulièrement sévères. L’eau qui coulait des murs provoquait constamment une moiteur qui vous dégoûtait. Engourdis comme nous l’étions, nous avions l’impression que nos corps émaciés étaient moisis vivants. Certains prisonniers sont devenus fous et, au fur et à mesure de l’installation, les nerfs des autres ont progressivement cédé L’une des principales causes de ces troubles de l’esprit était le bruit inouï et écrasant causé par la réverbération et l’écho incessants dans le tunnel fermé du bruit des machines, du martèlement des perceuses pneumatiques, de l’horrible cliquetis de la cloche de la locomotive et des explosions incessantes. Pas de chauffage ni d’échange d’air et pas la moindre occasion de se laver.
La mort nous tapait à travers le froid et les sentiments d’étouffement et d’émaciation qui nous envahissaient. Quant aux toilettes, elles étaient constituées de tonneaux dont le haut avait été enlevé et remplacé par une étagère. Ils étaient situés à chaque extrémité des rangées de cavités de couchage.
Les SS battaient les prisonniers. Tout a été sacrifié pour le rendement. Après tout, le destin du Troisième Reich en dépendait. Les SS obéirent. Ils se sont montrés trop zélés et se sont surpassés en cruauté et en art de l’intimidation. Le nombre de victimes ? Hors de propos ! C’était pathétique de voir comment, le matin, une foule s’est rassemblée au bout du tunnel dans l’espoir d’un examen médical. Dans l’horrible puanteur de putréfaction qui annonçait le processus de décomposition, ces zombies espéraient une aide qui ne viendrait malheureusement pas. Ils y sont morts de misère physiologique, n’ayant plus le courage d’implorer la pitié, alors que les camions des incinérateurs de cadavres de Buchenwald se préparaient à venir les charger. Les cadavres s’entassaient sans cesse. Les nombreux nouveaux arrivants ont remplacé les mourants jusqu’à ce qu’ils perdent eux-mêmes la vie.
Il y avait soixante mille déportés à Dora. Trente mille ne survivraient pas.
Le camp est libéré le 11 avril 1945. Il y a eu des victimes jusqu’au dernier moment. Il est à noter que DORA a été libérée par le 6e bataillon de fusiliers qui, après avoir participé à la bataille des Ardennes et à la traversée du Rhin, fut le premier bataillon belge à pénétrer sur le territoire allemand. Après la guerre, les Américains ont confisqué les connaissances techniques des nazis. Le nazi Wernher Von Braun est ensuite devenu le fondateur de la recherche spatiale aux États-Unis.
Les circonstances de la mort du major Housiau ne sont pas connues avec exactitude. Il est bien connu qu’il mourut le matin du 1er février 1945.
Des cérémonies d’adieu ont été organisées pour lui rendre hommage.
Je suis ravie que les enfants participent à de bonnes œuvres… Parfois, je peux taper du pied quand je me sens piégé, alors qu’il y a tant d’autres choses à faire et tant de souffrances à soulager. Mais je me sens calme et j’essaie d’en tirer le meilleur parti. En avant et tête en haut ! Bon courage, beaucoup de patience, toujours fier d’aller de l’avant ! L’aube de la liberté est proche…
(Extrait de sa correspondance)
J’ai appris à apprécier ses grandes qualités en tant que chef et en tant que personne.
(Lettre de son aumônier)
Je garderai à sa mémoire le souvenir d’un chef qui devait servir avec gratitude et dévouement.
(Un de ses officiers)
C’était l’un des hommes les plus complets que j’ai rencontrés. Je l’ai utilisé partout où il pouvait accomplir de grandes choses d’une manière que lui seul pouvait accomplir. Je n’ai pas été surpris d’apprendre comment il comprenait jusqu’à la fin sa qualité d’officier belge.
(Son général)
Il est mort pour son idéal : « SERVIR ».
Sous ses dehors plutôt maussades, un cœur particulièrement sensible se cachait.
Il aimait ses supérieurs, ses collègues, ses subordonnés et sa famille d’une manière simple mais sincère. Il s’est toujours donné complètement à tout le monde sans rien demander en retour. C’est pourquoi il laisse un grand vide partout. En 1997, lors d’une cérémonie à Peutie, son gendre le décrit ainsi :
Il se préoccupait constamment de la sécurité des hommes sous son commandement. Il n’est donc pas étonnant qu’aucun d’entre eux ne soit mort en captivité en 1940. Le président de l’Armée secrète, Ed. Franckx, m’a confié qu’il avait eu la chance de servir sous son commandement.
Cependant, il serait faux de penser qu’il était audacieux. Par exemple, il éprouvait souvent de la peur et de l’anxiété lorsqu’il devait traverser la Meuse avec des pilotes alliés. Il n’était pas non plus dépourvu d’humour, car lorsqu’il fit sauter des piliers la nuit, il s’empressa, en tant qu’ingénieur de l’Union des Centrales du Hainaut, de dénoncer ce sabotage aux Allemands le lendemain.
Peut-être qu’un jour, dans un cimetière, on trouvera son émetteur radio, ou du moins ce qu’il en reste, qu’il a caché quelques jours avant son arrestation.
Courage et humour, énergie et patriotisme… Nous vous sommes reconnaissants que vous vous souveniez de ces vertus en l’honorant.